« Stakhanov l’intox ? »
Résolutions 2011 pas mortes. Face à l’activisme ambiant, on appellera ça l’anxiété du début d’année, décortiquons le syndrome du faire, cette pression d’action qui nous empêche d’être tout à fait décontractés . Au fond et dans tous les sens du terme, on rencontre la source, le maître de tout activiste qui s’entretient : Alexseï Grigorievitch Stakhanov, ce mineur du Donbass qui, dans la nuit du 30 au 31 août 1935, réussit à extraire 102 tonnes de charbon en 6 heures, soit 14 fois son quota !
Utilisé par Staline et la propagande soviétique comme figure de proue du Travailleur de l’ordre nouveau, il défonça quelques temps les records pour la plus grande joie de la presse russe et internationale, dont Time Magazine qui en fit sa couverture. Célébrité logique : épaules larges, sourire éclatant, regard clair et pommettes hautes, le mineur avait tout d’une star de cinéma. Quelques reportages plus tard, le biceps vif certes, mais les neurones aussi, il se hâta de quitter la mine et l’ imagerie de l’ouvrier modèle pour une carrière de fonctionnaire, député du Soviet et membre d’un ministère- du charbon bien sûr. Son aura internationale résista plus tard aux révisions historiques suggérant qu’il aurait été assisté de deux collègues pour réaliser l’exploit. Et alors ? A trois mineurs, ils auraient quadruplé chacun les normes d’extraction officielles !
N’empêche, le record passe mieux ainsi. Un groupe de potes, stimulation, émulation, soutien amical, amoureux voire- who knows ? Les secrets du dépassement abondent, et on visualise bien les trois gaillards, une nuit d’Ukraine étoilée, s’enfonçant dans leur transe minière. Pour autant l’imagerie retiendra toujours le héros solitaire se battant contre l’adversité et surpassant les autres, sorte de croisement entre Goldorak et Maya l’abeille. Héroïque et compétitive, cette solitude convient à nos sociétés qui valorisent la puissance du faire individuel, qu’elle s’applique aux grandes écoles ou aux entreprises, définitivement non reconnues comme hauts lieux du zen.
Et pourtant… Le faire épuise. En flux et sans répit, on monte dans la fusée et c’est parti ! Burn out au bout, ou à plusieurs reprises tout au long du parcours, les ratés se multiplient. Car comme le promeuvent les techniques PNL ou la pensée positive, nous pouvons tout faire ou presque si nous mobilisons l’intention, l’attention et la concentration sur nos objectifs. « Le Secret » de Rhonda Byrne, une réflexion majeure sur ces techniques, en livre les aspects subtils. Or s’il est nous est vraiment possible de tout faire, à nous de faire preuve de discernement.
Je connais des individus qui, merci pensée positive, ont accompli le programme qu’il s’étaient fixé, et dans les échéances prévues. Mais à quel prix ? Car on peut réaliser un film, déménager, changer de job, d’associé, de pays, de couleur de cheveux et de partenaire amoureux en une année- liste non exhaustive que chacun remplira à sa façon. Pour quel état final ? Notre mental adore fixer des objectifs, poser des échéances et, pour peu que le processus s’enracine dans un pattern éducatif d’enfance- autrement appelé le « stimulus de la schlague »- l’adulte s’activera à remplir le programme. Ecrasé par le poids du tyran intérieur qui le fouette sans répit, même la nuit, il produira ses résultats pour mieux se fixer de nouveaux objectifs. Et trouvera normal que son employeur agisse de même avec lui.
Je n’ai rien contre les réalisations personnelles. Activiste de longue date, j’ai juste poussé le processus assez loin pour m’interroger sur le décalage entre notre mental et notre corps- par là j’englobe cœur, émotions, sentiments.
Le mental ne connaît pas les limites de la chair, le poids de notre humanité. Les lenteurs de la sensibilité, nos fluctuations d’humeur, nos cycles personnels, les émois affectifs ou familiaux rencontrés sur le chemin ne font pas partie de son programme. Seule la destination compte. Sans corps et de facto sans cœur, il nous force au-delà de notre humanité. Car si les projets évoqués plus hauts sont beaux pris un à un, rassemblés sur une année ils composent un brouet indigeste. Des profiteroles se dégustent mieux seules qu’ingurgitées entre une tarte tatin et un far breton. On peut s’empiffrer de réalisations comme de dessert. Avec le même écoeurement au bout.
Donc, quand votre tête part en avant et aligne les projets, je recommande de descendre dans votre ventre et d’écouter l’intuition. Est-ce que je me sens capable de mener ces actions à terme d’un seul coup ? Ne serait-il pas plus sage d’en différer une ou deux, histoire de voir ce que je ressens après avoir accompli la première ?
Nos ressentis, à la différence de nos pensées, ne se planifient pas. Imprévisibles, intenses, gênants ou carrément obsédants, ils ajoutent à nos destins le sel de la vie.
Or sans sel, on le sait, le goût se perd…