« Soyons heureux en attendant le bonheur »
Une déferlante. Depuis le trajet taxi TGV joyeusement rythmé par le hit « Happy » de Pharell Wiliams, je croise « Happinez » au Relais H de la gare, la nouveauté magasine du mois « féminin, positif, inspirant « avant de tomber sur « Et n’oublie pas d’être heureux », le dernier ouvrage de Christophe André. Happy mode, donc, en ce début d’année, relayé par une foultitude d’articles sur le thème dans les media. Un smiley inédit dans notre inconscient collectif, avec cette subtile exception française qui fait qu’on l’accepte mieux, ce bonheur, quand il sonne à l’anglo-saxonne. Happy semble plus appétissant qu’heureux, état compliqué pour nous, peuple défiant qui redoutons toujours la confusion entre sourire et crétinerie. Mais happy, pourquoi pas ? Besoin d’expression lié à une harmonie personnelle et collective ou nécessité de compensation face à une réalité difficile ? Quand on jette un œil sur l’étymologie du mot heureux, soit « euros », un terme du XIème siècle d’une pertinence très actuelle dix siècles plus tard qui qualifie « celui qui a de la chance », on penche directement pour la seconde option. Et on se pose la question.
Suis-je heureux(se) ? Là, deux options. La réponse jaillit, évidente, impérieuse. Oui ! Ou rien ne vient ni ne viendra. On fouille, on s’interroge, confus, sombrement circonspect. Non, bien sûr, on ne trouve jamais qu’on est heureux quand on y réfléchit. Le bonheur est un état associé où nous vivons plutôt que de nous regarder vivre, une harmonie que nous ressentons sans analyser. Heureux, nous sommes unis, avec nous-mêmes et l’extérieur aussi. Les aimés que nous avons la chance de tenir dans nos bras, les passants que nous regardons depuis une terrasse de café ou un parc, affalés sur l’herbe ou sur un banc, adossés à un arbre, le silence et la paix qui nous gagnent quand nous contemplons et nous laissons absorber par plus grand que nous. Rien d’une dissociation tête-cœur, pensées- émotions qui scruterait pour mieux les comptabiliser nos éventuels stigmates de bonheur.
On s’oublie. On s’élargit. On s’amplifie quand on est heureux. Ce qui n’implique pas forcément l’immobilité. Un ami me faisait récemment remarquer qu’en « langue des oiseaux » (idiome alchimiste fait de correspondances subtiles entre les sons et les mots), le « Wake up ! » des anglais pouvait aussi s’entendre « Way cup » . En avant vers la coupe ! Ou ce fameux Graal, objet des croisades des chevaliers du Moyen Age, qui aurait recueilli le sang du Christ. Quête ultime.
Pour certains, la quête s’arrêtera à la cup du coin, soit la tasse de café du matin qui se suffira en petit bonheur. Pour d’autres, elle se poursuivra dans l’activité afin de la remplir, cette coupe, de projets, d’envies, de succès, voire. Les visages exaltés, réjouis, intensément heureux des athlètes de Sotchi ainsi que de leur entourage, donnent une idée du happy mode quand des mois d’entraînement et de labeur explosent en succès et médailles étincelantes. Etat de flux dirait Mihály Csíkszentmihályi1 soit une implication tellement intense dans le moment que la notion du temps et le sens-même du moi disparaissent. Sans aller jusqu’à la performance olympique, on le ressent quand on se livre à fond à une activité, sportive, créative, aimante, qui mobilise nos capacités. Le temps disparait, plus rien d’autre n’existe. Mobilisation totale. Ici et maintenant. A la bonne- heure.
Quand on a ressenti cet état et goûté son infinie douceur, joie inexprimable d’un instant ou d’une échappée hors des irritants de nos quotidiens, on l’invite dans nos vies. On en fait une posture. On décide d’être heureux… en attendant le bonheur, comme le titre de ce post emprunté à la géniale MissTic, cette artiste qui peint dans la rue, sur les murs et trottoirs de Paris, abandonnant à nos pieds ses messages de joie et d’humour. On prend la posture, on fait les gestes comme disait Pascal, et le miracle de la joie arrive. On se sent mieux. Happy au quotidien, pour mieux le partager. Voir le visage d’un happy humain en face réjouit. Sinon, ça n’a pas de sens, comme le découvre avant de mourir Chris, le sublime et tragique héros du film « Into the Wild »2 à l’issue de son immense et solitaire quête du Graal vers l’Alaska.
« Happiness is only real when shared ».
Soyons réels, soyons heureux aujourd’hui. Bon mardi!
1Mihály Csíkszentmihályi , La Psychologie du Bonheur, Paris, Robert Laffont, 2004
2Into the Wild, Sean Penn, 2007