« Police, ouvrez ! »
Quoi ? Les portes, les cœurs, les consciences ? Cette question me taraude depuis la révélation de « Polisse », le dernier film de Maiwenn, soit le récit de quelques jours passés au sein de la Brigade de Protection des Mineurs à Paris. « Polisse » et son joyau : une équipe, une vraie.
Cette découverte a évidemment croisé mon expérience de coach en entreprise, occasionnelle animatrice de séminaires de team building . Appel aux confrères, une équipe comme celle du film, ça ne court pas les rues, non ?! Chaleur, connivence, simplicité, efficacité, transparence des egos qui gonflent, certes, mais dégonflent fissa dans la bienveillance générale. Du jamais vu dans le monde corporate. Bien sûr ladite brigade a le beau rôle, celui de défendre l’enfant et l’abusé(e), soit le combat toutes classes sociales et quartiers confondus du Bien contre le Mal. Au quotidien et sur un rythme soutenu, cela donne une épopée fusionnelle, tendance village gaulois dans la mesure où la cause ne mobilise a priori pas l’ensemble de l’institution et que la brigade des Stups leur pique régulièrement leurs véhicules de fonction- normal ils sont sur du « lourd », avec enjeux sonnants et trébuchants à la clef. Qu’importe, la Brigade rebondit avec ferveur, risquant sa vie avec générosité et humour toujours ( réalité de l’ambiance validée par Isabelle C, ma pro &référence absolue sur le sujet).
L’équipe façon entreprise, telle que je la pratique, reste très loin de ce croisement de vertus militaro-chevaleresques. On y croise, au mieux, politesse défiante, hypocrisie détournée, antipathies courtoisement voilées, flou et grésillements dans tous les sens. Un matériau de cohésion passablement faible pour du team-building qui déchire, avec ce constat qui s’impose à chaque fois. L’esprit d’équipe et ses piliers que sont le fun et la solidarité ne s’achètent pas plus qu’on pourrait acheter la sensibilité ou la générosité. Et tous les budgets de formation resteront sans effet si le potentiel de cohésion que possède chaque groupe d’individus n’est pas amplifié par une volonté commune, sous la direction d’un leader inspiré- témoin le capitaine mis en scène dans « Polisse » qui partage humblement le quotidien de son équipe, quitte à intervenir quand elle part en vrille.
Soit. On peut alors se poser la question de ce que devient le comité de direction d’une entreprise lambda quand il se voit exfiltré, en jean et polo griffé dans une campagne à moins de 45 minutes de Paris au sein d’un château noblement reconverti pour l’occasion- salles de réunions, salles de gym, salles de spa, salles de karaoké et petits salons pour l’after laborieux qui suivra le dîner. Il apprendrait à se connaître, à s’apprécier au coin du feu en sirotant du single malt 30 ans d’âge ? Inutile, les masques ne tombent pas quand c’est l’entreprise qui paye. Donc il reste à s’inventer une histoire collective de performance, « the best commercial team ever », de combat partagé, « Passer du rang de n°3 à n°1 » ou encore de renouveau d’image tendance « l’entreprise X, le retour »- tous projets propres à susciter un élan partagé et un retour sur investissement au team-building. C’est déjà ça, dit la tête.
Ce qui prend le cœur dans « Polisse », c’est la noblesse d’un investissement qu’on appellera engagement et qui se situe ailleurs que dans les normes comptables des grandes personnes. Que la Brigade de Protection des Mineurs dédie 8 personnes pendant 24 heures à sillonner tout Paris pour retrouver un bébé enlevé de son foyer d’accueil par sa mère toxicomane, soit une abondance de moyens considérable pour un objectif de 62 centimètres sur 4 kilos, cela frappe les esprits.
« Tout ça pour un bébé… » a commenté laconiquement un jeune spectateur à côté de moi, fasciné par l’absence de corrélation entre les moyens et le gain escompté- un bébé traumatisé, déjà abîmé par la vie de toutes façons. Un jeune spectateur à l’esprit précocement calculateur, économe de ses efforts et dont la méfiance apathique contrariera d’évidence tout espoir d ‘odyssée collective dans le futur. Le constat se dessine à l’avance et ce, en dépit des moyens, des budgets de formation, des stratégies de séminaire, des choix de coach et autres team-builders. Car la cohésion requiert enthousiasme, confiance et abandon à la cause commune. Aux antipodes du prétendument rationnel, de la normalité affichée, des protections croisées tendance « petits arrangements entre collègues ».
Les héros de « Polisse » , quand ils franchissent le seuil de leur bureau, sont simples, avec tous les défauts qui vont avec : maladroits, abrupts ou carrément bruts, cabossés par la vie, parfois aussi dézingués que leurs locaux. Pour autant, ils irradient une joie et un plaisir à opérer ensemble contagieux, témoin le succès du film. Attachants, uniques, complexes, ils pourraient ressembler aux cadres d’entreprise en voie de team-building si ces derniers ne s’efforçaient pas tout au long de l’exercice de rester en contrôle et à cette fin de s’afficher trop polis, tellement normaux… Aucun risque d’irradier quand on reste dans le politiquement correct.
« Bénis les fêlés, disait Audiard, au moins ils laissent passer la lumière ».
Alors, pleins phares !