« Les mots pour le fuir ! »
« Quand j’évoque l’élection de François Hollande autour de moi-clients, amis- j’entends parler de valeurs: échange, égalité des chances, partage, solidarité, simplicité, besoin d’évolution et de changement. Ça tombe bien, c’était écrit dans le programme. Un egregore puissant de pensées et aspirations qui a nécessairement promu son incarnation concrète: notre Président actuel. La civilisation avant le reptilien, l’humanité avant le rationnel, le coeur avant le mental aux froids calculs. Là où cela me gêne, c’est quand ce rationnel expulsé à grand bruit, revient par la fenêtre pour mieux biaiser, voire manipuler lesdites valeurs. Cela évoque la propagande, telle que la pratiquait en son temps la défunte URSS avec ses ministères ou commissariats d’état aux titres hypocritement ronflants, à valeur compensatoire, à l’intar de ce qui pourrait s’entendre chez nous derrière les intitulés vertueux du minstère du Redressement Productif, de la Réussite Educative ou encore de la Culture Populaire (mon sang de Bretonne ne fait qu’un tour. Vont-ils rétablir le biniou sur la place publique? Gast!). Plus sérieusement, le négatif en creux derrière ces déclarations d’intention doit siffler aux oreilles des agents d’état et autres opérationnels de terrain qui antérieurement ont de facto oeuvré pour l’Enfoncement Improductif, l’Echec Educatif ou encore la Non-culture Elitiste. Effet d’annonce ou logorrhée compensatoire?
« Très honnêtement » dira l’escroc, « En vérité » poursuivra le menteur, tout comme la ménagère compulsive trahira par sa maniaquerie asticatoire les ombres indignes qui traînent dans les recoins non balayés de sa psyché.
Ces slogans, qu’on aurait sans doute retrouvés dans un gouvernement de droite, déjà partisan d’un fantasmatique « vrai travail » en fin de campagne, ces slogans, donc, à fonction conjuratoire ou imprécatoire ne sont pas dangereux en soi s’ils impliquent une intégration dans les faits, et – les ministères servent à cela- une mise en action via lois et mesures appropriées. Certes, la présentation compte et la mère de famille harassée qui à l’issue d’une journée de travail réalise à la va-vite avec les restes du frigo un gâteau d’anniversaire honteusement zappé ( cela arrive, surtout en famille recomposée), sait qu’elle aura intérêt à le servir avec des effets inversement proportionnels à la qualité de la préparation. A goût égal, il sera perçu de façon ordinaire d’un côté, extraordinaire de l’autre si elle y met les artifices de présentation nécessaires. Le seul hic, c’est que le gâteau ici est déjà fait, à la différence de l’action politique à poser par les ministères cités supra. L’habillage verbal ne vient qu’ en glaçage.
N’empêche. Ces affêteries de langage aux vertus anticipées me mettent mal à l’aise, au point d’évoquer mon recours suprême en cas de défaillance, mon icône et référence historique, un taiseux pas vraiment politique du nom de Jean Gabin. L’espace d’un instant, j’imagine sa tête en entendant parler de ministère du Redressement Productif. La pupille iceberg qui ne cille pas, peut-être un frémissement à la commissure des lèvres, respiration plus lourde, tressaillement d’épaules et lassitude globale sur fond de misanthropie généreusement assumée. Gabin face aux belles paroles, soit l’impact du gant de crin sur de la pommade.
Sans oublier les effets du temps qui passe et défraîchit les mots. On imagine un surfeur de vingt ans qui se ferait tatouer un « J’te kiffe grave Pamela » au bas des reins et le retrouverait sous ses poignées d’amour trente ans plus tard. Ça le fait carrément moins. Car, hypothèse funeste non totalement exclue par nos pythies économiques, si la fameuse croissance attendue ne reprenait pas, transformant en bouillon cube sponsorisé par Maggi et non magie hélas, notre marigot économico- industriel, comment sonnera alors le fameux « redressement productif »? Ou encore, que diront nos « réussissants éducatifs » dûment bacca-lauréatisés si le chômage dure et le travail promis ne vient pas?
Parole, parole… en italien et sans même l’accent de Dalida, paix à son âme.
Vive le changement, la créativité, des idées nouvelles, des paradigmes différents, indispensables, on le sent bien, mais sans le bavardage. Plutôt façon « What else? » de Georges Clooney, avec le charme en plus. Car devant l’impérieuse nécessité de « se sortir les doigts » face à un réel enfin regardé et pas seulement conjuré, comment osera t-on appeler le ministère qui se chargera de ça? »