« Bien dans l’axe du sexe du jardin ! »
Accroche sexy pour délire de post- nouvel an, sournoise décompensation maquillée en formule de vœux originale ? Non, ce morceau de phrase m’est tombé dessus lors d’une promenade de 24 décembre, un rituel qui me fait arpenter Paris l’après-midi de Noêl dans ce climat habituel d’apocalypse pré-Nativité. Rues presque vides, errants solitaires, chalands un peu effarés à la perspective de devoir incessamment clôturer leurs cadeaux, magasins mi ouverts, mi fermés, veillés par des commerçants qui piaffent de préparer leur Noêl à eux, ciel étrangement humide, air bizarrement tiède. Me voici donc en cette fin d’ après-midi d’avant Noël du côté du Jardin du Luxembourg, rue de Fleurus, autrefois hâvre de Gertrude Stein, poétesse américaine et amie des surréalistes, ici invoquée en l’honneur de la scène suivante.
Deux rues vides qui baillent au croisement. Surgit un homme de petite taille, râblé, d’origine indienne, vêtu d’un pantalon treillis, d’un pull rouge vif sur une chemise à carreaux, chaussé de pataugas. Un asiatique habillé comme un trappeur québécois qui marché d’un pas décidé au centre de la rue, là où circulent les voitures,et toise façon gyrophare les trottoirs avant de hurler un retentissant :
« Bien dans l’axe du sexe du jardin ! »
Qui roule et emplit la rue, secouant çà et là quelques têtes qui se retournent, des épaules qui se replient pour ne pas entendre.
Et le provocateur d’éclater de rire en ajoutant, clin d’œil à l’appui devant ma mine ahurie :
« Faut les remuer, les bourgeois ! »
Eblouissement. La formule me percute de sa beauté surréaliste. Je la tourne et retourne dans sa perfection opaque. Je ne comprends rien, sinon que ce « bien dans l’axe du sexe du jardin ! » me ravit , telle une trouvaille délicieuse qui évoquerait le fruit défendu, l’amour courtois style « Roman de la Rose » revisité hardcore, une fulgurance new-age aux relents de « Gazon maudit » en l’occurrence éventré, un arrière-goût du tandem Lacan-BB qui émoustillait jadis une France éperdue de lapsus et de mépris à la Godard. Bref, un propos différent en ces temps de fête aux formules usées. Alleluia !
Villégiature hors de Paris le soir-même, retour à la capitale le 31 décembre. Pendant tout ce temps, la formule ne m’a pas quittée, mantra absurde et pour autant obsédant qui trotte dans ma tête sans ouvrir de chemins de compréhension. Jusqu’à ce second rituel méditatif de déambulation, pré-Nouvel an cette fois, le samedi 31 décembre. Comme la semaine précédente, en fin d’après-midi je me dirige vers la rue de Fleurus, mais dans l’autre sens cette fois. Dans l’axe de l’homme qui déclamait. Et…… je vois. Evidemment !
La rue de Fleurus, l’entrée du jardin, la grande allée qui traverse jusqu’à la sortie d’en face et remonte, dans l’axe toujours, rue Soufflot avant de culminer au Panthéon. Voilà, c’est ça ! Bien dans l’axe du sexe du jardin, le cimetière des grands hommes en ligne de mire ! Je vois, je comprends, je connais enfin ce jardin, au sens biblique du terme. Enclos percé de part en part, nature éventrée entre pénétration et éjection, effraction des allées, intrusion des sentiers, cette perspective parfaitement logique et alignée, à la française, porte en creux un plan à trois qu’auraient orchestré Marie de Médicis, Le Nôtre et Richelieu. Quintessence de l’esprit français qui réactive la mémoire des propos de mon observateur la semaine d’avant. Non il n’était pas fou ou halluciné comme je l’ai d’abord cru, il n’était pas l’avatar jardinier d’un DSK façon satyre, mais géomètre peut-être, ou alors topographe, mathématicien, psychanalyste bateleur qui sait ? En tout cas, lui, il avait vu.
Quant à moi, épiphanie en avance dans ce feuilleton qui sautille de semaine en semaine, j’ai enfin capté, huit jours plus tard, son image. Implacable évidence pour qui se trouvait….bien dans l’axe du sexe du jardin !
Ce post un peu bizarre, moins sexy que son titre pourrait le suggérer, vous en conviendrez, célèbre la force des images qui disent tout et aussi l’intérêt de ces énigmes qui tournent parfois dans nos têtes : propos non compris et qui trainent encore à nos oreilles, scènes qui nous laissent un arrière-goût d’étrange étrangeté, coîncidences qui glisseraient vers les synchronicités si on leur laissait le temps de s’épanouir. L’espace pour qu’éclose leur vérité. Alors au lieu de les évacuer, célébrons-les ! Accueillons l’obsession de « bien dans l’axe du sexe du jardin ! »pour en recevoir une semaine plus tard l’éblouissante démonstration. Formule parfaite, mécanique implacable du poète géomètre, fulgurance qui éclate en sourire. Je dédie ce post aux amoureux des mots, ces lyriques du sens, charnels des sons et autres rêveurs du quotidien. Que 2012 nous charme !