« Au risque de se faire happer »
Avez-vous déjà été saisi par un endroit ? Maison, appartement, péniche, cabane, voire? Vous alliez libre, citoyen de la terre entière quand soudain…Cette maison ( vaut pour appartement, péniche, cf liste ci-dessus) ! Vous voici aspiré. Évidemment sans savoir pourquoi. Vous visitez et revisitez. Vous en parlez. Vous en rêvez. Il vous la faut. Obsession.
Bien sûr, vous pouvez et c’est même recommandé, vous enquérir du pedigree de l’endroit : date de construction, historique des éventuels travaux, noms des différents propriétaires. Cette prise de références, si consciencieuse soit-elle, s’avère rarement probante. L’essentiel ne se dit pas dans les mots. Et encore moins dans les titres de propriété.
Seule la maison sait. Elle a tissé au fil des ans son histoire, un mélange entre celle de ses habitants et ses réactions auxdites. Telle violence conjugale l’a meurtrie, telle idylle l’a réjouie, telle mort l’a soulagée tandis que telle autre l’a détruite. Elle a jubilé, souffert, vibré, pleuré en résonance et avec ses occupants.
Elle est donc marquée, comme nous tous. En quête de réparation, aussi. Pour tel naufrage conjugal, vite, un couple qui dure. En réponse à un long veuvage austère, ouf un play-boy polymorphe…
Violent, précis, presque magnétique, l’appel ne nous touche que si nous sommes en mesure d’y répondre. Sinon il ne se passe rien. Mais une fois le contact établi, à nous de faire le tri entre notre besoin et celui du lieu qui nous attire à ce point. Car si la volonté du lieu l’emporte, on explosera. Personne, ni couple aimant, ni célibataire jubilant, ni famille unie, ne suffira à rétablir la paix des strates de vie antérieures. Vous passerez votre temps à remplir un puits sans fond, une offrande mécanique et infinie, jamais pertinente. J’ai vu des familles s’épuiser ainsi, des couples s’étioler, des vies se rabougrir au nom d’une sorte de sacerdoce immobilier.
« On ne part pas cette année, on répare le toit… Nous on est très famille, le week-end ça sert à cocooner… pourquoi sortir, on est tellement bien à la maison…. »
Qui est au gouvernail dans ces cas-là ? Demandez-vous toujours si c’est bien vous qui menez votre barque. Et surtout, si c’est de votre projet qu’il s’agit. Car à l’instar des êtres, certains lieux vous happent. Et sans retour.
A lundi!