« Touche pas à mon steak ! »
Débats, plateaux télé, meetings spectaculaires ou distribution de tracts dans les marchés, altercations intra-bistrots ou sur la place publique, la campagne bat son plein. Plein de quoi exactement ? De ce qui élève l’âme et le cœur, donne de l’espoir et du chaud au ventre ? Pas trop, non, ces dernières semaines. On a beau chercher, ce qu’on trouve tient plutôt d’une grosse résurgence de relents du passé, une mosaïque d’éclats plus ou moins ternes, des débris de l’histoire nationale qu’on préfèrerait oublier. D’où ce post pour mieux les fossoyer.
Chaque camp y est donc allé du sien, avec plus ou moins de subtilité. Dans le style sournoisement perfide, on doit citer le titre de la biographie récente du candidat socialiste « La Force du Gentil » par Marie-Eve Malouines. Ou comment la redondance inflationniste du positif, version ++, appelle immédiatement par déduction logique son opposé version- – , soit « La Faiblesse du Méchant ». Suivez mon regard….
Haro sur le méchant en creux, donc et, au second degré, valorisation des qualités du « Gentil ». Un étrange qualificatif, fait pour surprendre et au-delà éveiller des réminiscences. Car le Gentil est l’équivalent hébraïque du Goy, ou non-Juif dans la Bible. La force du Gentil alias le Goy face à…. un adversaire pas vraiment Goy de par son grand-père maternel, Juif séfarade de Thessalonique. Vous n’y pensez pas ! Oh si, car grâce à un superlatif prétendument élogieux, nous retrouvons d’un clic de mémoire la fracture historique, religieuse, quasi-ethnique entre le méchant Juif et le gentil Goy-pléonasme.
Je vais trop loin ? Sans doute que je me méfie de la gentillesse quand elle exhibe ses vertueux biceps. Vite, en antidote, le très cash essai de Thomas d’Ansembourg « Cessez d’être gentil, soyez vrai ».
Retour de manivelle de l’autre bord , non moins subtil, puisqu’évoquant l’apocalytique perspective d’une administration qui serait bientôt gérée par la gauche revenue au pouvoir, Nicolas Sarkozy a brandi le spectre d’une « épuration » à redouter- terminologie effectivement utilisée pendant la Libération comme il l’a lui-même souligné, mais rendons grâce aux pionniers, terminologie surtout fameusement lancée par le Gouvernement de Vichy lors de la promulgation des lois du même. Histoire, tes doux souvenirs…
Repli et fermeture, donc, sur tous les modes. Le candidat de l’UMP s’est fait violemment huer par les indépendantistes basques lors de sa visite à Bayonne- lesquels ont porté à la conscience linguistique nationale le « Kampora !», un suave cri de guerre local qui équivaudrait à « Dégage ! » avec, en délicat sous-titre « T’es pas d’ici, on ne veut rien savoir ».
Cet appel à l’ouverture et la tolérance, enfin, s’est ultimement épanoui dans ce qu’il convient d’appeler « l’affaire du bœuf contaminé » ou comment cette flambée identitaire m’a conduite à ré-ouvrir l’excellent « Mythologie » de Barthes ( 1957, vieux de plus d’un demi-siècle, comme quoi, ça va mieux en reculant).
« Comme le vin le bifteck est en France aliment de base, nationalisé encore plus que socialisé.National, il suit la cote des valeurs patriotiques : il les renfloue en temps de guerre, il est la chair même du combattant français, le bien inaliénable qui ne peut passer à l’ennemi que par trahison. Dans un film ancien (Deuxième Bureau contre Kommandantur), la bonne du curé patriote offre à manger à l’espion boche déguisé en clandestin français : « Ah, c’est vous, Laurent ! Je vais vous donner de mon bifteck. » Et puis, quand l’espion est démasqué: « Et moi qui lui ai donné de mon bifteck ! » Suprême abus de confiance. »
Suprême abus de confiance. Voilà ce que donnera le résultat du vote des immigrés, stigmatisé par les fanatiques d’une francitude carnivore : des élus municipaux de provenance suspecte qui fourgueront une viande impure à nos têtes blondes. « Nous leur avons donné de notre bifteck, ils en ont fait du halal ! ». Et chacun de s’émouvoir, traquons l’ennemi, traçabilons-le, assurons-nous que jamais oh jamais, un sang impur de bœuf impie n’abreuve nos sillons ! On le sait et Barthes surfe avec cette idée : dans les tribus primitives, on est ce qu’on mange. Les noix rendent intelligents car leur fruit ressemble aux deux hémisphères du cerveau. De façon plus sophistiquée, certains parents prévoyants faisaient encore manger il y a peu des coquilles d’oeuf à leurs futurs génies d’enfants, une sorte de morphing nutritionnel visant à leur mettre en place un crâne d’œuf digne de l’élite énarchienne.
Exilé à Londres au début de la guerre, excédé et mezzo voce, le Général de Gaulle avait glissé, à table again plantant sa fourchette dans le Bristish agneau, un : « Les Français sont des veaux. Bons pour le massacre. » Voilà ! Des bœufs, plutôt, potentiellement égorgés, et de blasphématoire façon par les émules de Mahomet déguisés en personnel d’abattoir et autres perfides bouchers. Sus aux Sarrazins, holà au halal, Charles Martel avec nous ! La violence de la réaction, son caractère bestial à tous les points de vue, le repli identitaire qui la soutient, n’augurent pas de grand destin à un peuple ainsi confiné et sûr de son bon droit. La France terre de Babel ? Terroir de Babybel, plutôt.
François Hollande a jadis été responsable de SOS Racisme. La famille juive de Nicolas Sarkozy a été déportée. Dans la mémoire de chaque français d’un camp ou de l’autre, que ce soit à travers l’agression, le martyre, la fuite, la complaisance ou le déni, les abus nationaux et racistes ont laissé des traces de désolation et de mort. L’anthropomorphisme du débat sur la viande halal, la casuistique du sujet pour qui sait comment sont traités les animaux dans les abattoirs et comment, de façon plus générale, sont traités les consommateurs par l’industrie agro-alimentaire, ne doivent pas égarer. Des veaux, juste bons à veau-ter? Que ça sonne pareil, soit, mais nous emmène carrément ailleurs, une fois digérés les abus du cerveau reptilien et autres hypocrisies de saison.