« Rencontre du 3 ème… Reich »
« Où ? A Nuremberg, Vienne, Berlin ?
Non dans la ville d’Udaipur, en Inde au Rajasthan, d’ où je rentre de vacances. Foisonnement de forteresses et de palais de maharajas, espaces fastueux voués au luxe, calme et volupté des possédants d’hier ou d’aujourd’hui- même si plus modérément, merci Gandhi. Débordements égotiques pas forcément irrésistibles quand on mesure l’écart avec le niveau de vie de la population, mais cohérent avec l’histoire du pays jusqu’à…. cette rencontre violente dans une librairie de la ville.
« Mein Kampf » .
Une vingtaine d’exemplaires, en tas et en vitrine avec photo de l’auteur en couverture haranguant à la haine. Le tout publié par un éditeur indien et, enquête menée fissa, distribué en piles abondantes dans les autres points de vente de la ville, et plus largement dans l’ensemble du pays, avec bonus dans les librairies d’aéroports où il figure en vitrine décliné en plusieurs éditions, régulièrement placé entre – vu et constaté- les biographies de Mère Teresa et de Gandhi.
Le premier moment d’effarement passé- mélange de colère, dégoût, tristesse et toutes leurs ramifications, on a voulu comprendre :
« It’s because of European people, they ask for it, they buy many.
– And Indians?
-They buy lots too.”
nous a confié, regard en déroute du “pas-bien-à-l’aise-sous-son–turban » le libraire sikh. Ses confrères interrogés n’ont pas varié de discours, sinon pour dire qu’ils ne savaient pas grand-chose d’Hitler, qu’il semblait que c’était un « Big Man » en Europe et… tenez-vous bien, « un ami de Gandhi » au point que Rakesh Rajan, réalisateur en vogue à Bollywood venait d’achever le tournage d’un film qui sera sur les écrans fin 2011.
Son titre ? « Mon cher ami Hitler », en mémoire de la formule par laquelle débutaient les lettres adressées par Gandhi à Hitler ! Recherche menée toujours fissa, il s’avère qu’à deux reprises, en 1939 et en 1940, Gandhi avait tenté par cette correspondance de faire renoncer le Führer à son entreprise meurtrière, façon non-violence.
No comment. Au-delà d’un remake tristement ubuesque des Bidochons en vacances… ou chez les nazis en l’occurrence, la déflagration de ces découvertes en cascade m’a rendue sceptique quant à la « tolérance » face aux discours, lesquels justifient tout, même l’ignominie. Car enquête achevée, il s’avère que « Mein Kampf » est un best-seller en Inde, publié depuis 8 ans par 6 éditeur indiens qui ont racheté les droits à l’expiration du copyright, business oblige. Les ventes dépasseraient 200 000 exemplaires. La demande croît au point d’inspirer des initiatives merchandising d’envergure, témoin le « Hitler’s Cross », un pub dédié à la cause en plein cœur de Bombay inauguré en grande pompe en 2006 avant de finir par fermer sous la pression des associations juives. Et qu’en Inde, autour du livre foisonnent les discours justificatifs ou raisons d’achat qui donneraient le vertige au plus roué des marketeurs. Florilège par courant d’inspiration :
Mythique : « Il mis en évidence que l’origine de l’Europe, c’est les indo-européens, à savoir les Aryens venus d’Iran qui ont essaimé depuis l’Inde, nous quoi ! martèle la droite nationaliste indienne.
Logique : dans un pays qui maintient la segmentation d’une société en castes, la hiérarchie naturelle qui place les dolichocéphales aryens au-dessus des autres n’est pas une aberration.
Business : les étudiants des écoles de commerce, la force montante et convoitée du pays, apprécient le process du leader qui a conjugué vision et implémentation, stratégie et tactique. Un pour qui le « walk his talk » était une réalité.
Historique : l’Allemagne a encouragé le mouvement indépendantiste indien, notamment en soutenant son leader Subhas Chandra Bose en 1943, à toutes fins d’affaiblir son adversaire de guerre et autre puissance coloniale anglaise. Solidarité pas morte.
Ecologique : le Führer, notoirement attentif au bien-être et à la souffrance… animale avait fait voté des lois interdisant la vivisection et autres pratiques barbares, propres à lui assurer un popularité dans un pays où les animaux sont globalement protégés.
Economique : la loi de l’offre et de la demande, ou plus exactement la logique du commerce. Un ouvrage existe, on le veut ? On vend.
Stop. La litanie de ces histoires entendues et lues fait peur, les émotions qui les motivent restant banalement humaines : orgueil, cupidité, vanité, inconscience. Vertige de ces discours où se noient l’âme et le cœur. Le sens. La mémoire et son devoir. Du danger des mots qui restent et prospèrent tandis que le souvenir de l’horreur s’estompe.
Oui, les palais étaient beaux et les faciès des maharadjas globalement hilares sur leurs grands tableaux. Sauf qu’un palimpseste funeste en ternit dans ma mémoire les ors, marbres et piliers finement taillés. Une ombre noire qui ne laisse pas de parler d’autre chose. L’envers du décor, pire que l’envers des discours.