«Sous la fourchette l’éthique»
Sous la fourchette l’éthique Avant de lire l’essai de Jonathan Safran Foer « Faut-il manger les animaux ? »
(« Eating animals », 2010 en France) qui continue à susciter la polémique outre-manche et atlantique, je n’imaginais pas que la façon dont nous remplissons nos assiettes pouvait avoir un tel impact économique, financier, écologique et… humain. Je n’avais jamais envisagé non plus qu’un romancier trentenaire, juif new yorkais, précédé de deux best-sellers, puisse décider de consacrer trois ans de sa vie à enquêter sur de …. la viande, substance morte s’il en est. Or de cette mort il ressuscite une actualité plus que vivante, dramatiquement vivace, qui hante au-delà de la lecture de l’ouvrage.
Si le système de l’élevage industriel mondial est dénoncé pour ses aberrations sur le plan écologique (pollution, détournement des ressources, déforestation), sanitaire (grippes aviaire, porcine..), économique, financier (collusion avec les lobbies pharmaceutiques fournisseurs à haute dose de médicaments destinés à des animaux drogués), cette description ne suffit pas vraiment à interpeller. Nous avons tous une vague connaissance via vidéos internet, récits de végétariens militants, pleurs des enfants devant des films bien intentionnés, des excès de «fleisch für alles » ( non je ne me prends pas pour John Galliano ), le slogan de l’abondance qui implique aujourd’hui la propagation d’un même régime alimentaire sur la planète. Y inclus dans des régions du monde notoirement non sympathisantes : l’Inde où les vaches, traditionnellement sacrées, ont cessé de trouver refuge ou encore la Chine qui se passait bien de boeuf jusqu’ici avec ses poulets, porcs et… chiens à l’occasion, dûment battus pour attendrir la chair. Traitement violent qui constitue aujourd’hui le quotidien de la totalité des espèces d’animaux produites par l’élevage industriel. Au-delà des aberrations patentes de cette diffusion du standard alimentaire carné, ce qui fascine dans ce livre, c’est cette évocation scientifiquement étayée, rationnelle et pour autant créative ( l’auteur dénonce, mais reste poétique- performance) d’une violence banalement acceptée. Et qui nous gagne tous, insidieusement.
Quotidien d’animaux violentés et massacrés à l’aube de leur vie ( toutes proportions gardées et toutes catégories confondues, les animaux que nous consommons hors système bio sont tués à la fin de l’enfance, douze ans tout rond,…tout en ayant mené plusieurs vies d’adulte en terme de reproduction) . A nous de nous interroger sur les liens que cette accélération insensée pourrait avoir avec ce phénomène scientifiquement attesté et de plus en plus éprouvé par tous d’emballement chronologique, de temps qui se raccourcit, de rythmes qui se bousculent…. Influence ? Autre influence, directe et spectaculaire aussi, les exactions qui se produisent fréquemment dans les « fermes » d’élevage industriel ou encore les abattoirs, où des études ont prouvé que le taux de dangerosité sociale des employés s’élevait à proportion de la barbarie des méthodes utilisées. Plusieurs vidéos internet dévoilent la face cachée de ces hangars de destruction massive où, pris dans l’ivresse de la barbarie, certains employés abusent des animaux façon gore- tendance requins frénétiques de sang et de destruction. Contagion, vous dites ?
Enfin, de façon plus soft mais non moins spectaculaire pour moi qui a vécu l’expérience, une consommation massive desdits produits induite par l’expérience récente d’un séminaire professionnel de trois jours à alimentation strictement carnée (viande imposée à tous les repas, entrée ET plat principal, menu type carpaccio de boeuf suivi de son confit de canard), a suscité chez moi une violence intérieure inédite. De quoi envahir Berlin au volant de ma Smart au retour, pour paraphraser Woody Allen. Et sans programmation mentale antérieure puisque je n’avais pas réfléchi que la mémoire cellulaire horrifique d’animaux massacrés survivait à leur trépas et se déposait dans mon assiette avant d’attaquer mon propre système nerveux. Nach Berlin , vraiment (non, toujours pas le syndrome John.G).
Bref, nous savons tout cela et hormis ce -grand-moment de solitude qui a suivi la fin de la lecture du livre à une terrasse parisienne ensoleillée, je n’ai pas cédé à la bouchée délirante de monter sur une table pour haranguer mes frères bouffeurs de steak tartare J’ai juste mal dormi. On appelle ça la conscience, ou l’ouverture de…, ce qui revient au même.
Car si l’on part du principe que le cheminement- chaotique- de la civilisation s’est traduit à travers l’évolution de l’espèce humaine par la répression d’ instincts et autres comportements sans doute plaisants ( inceste, cannibalisme, sacrifice humain…) mais partant, scandaleux, on peut se poser la question de laisser un système dont le caractère inhumain croît de façon exponentielle, se perpétrer autour de nous… voire de l’intégrer, ou de l’ingérer plus exactement. A chacun ces combats, pour le coup j’en suis consciente, et la vocation eye opening de ce blog ne signifie pas le Zorro happening. Mais comme nous allons vers le printemps, saison des nettoyages et du changement, lançons le débat.
Bon appétit !